La montée des copistes du chaos

Au menu: Les ingénieurs du chaos version québécoise, le diffamateur du régime et pour un Daily Show de droite.

La montée des copistes du chaos

Je commence en vous disant que vous pouvez m’encourager en vous abonnant à la version payante de cette infolettre, et blablabla…

Mais je vous annonce aussi que j’ai rédigé la préface de la nouvelle édition du livre Langue de puck de Benoît Melançon. C’est un abécédaire du hockey que vous pouvez trouver dès maintenant en librairie. Étant moi-même un passionné du langage du hockey, ce fut un grand plaisir et un honneur d’écrire cette préface. Surtout que c’est Jean Dion qui avait écrit la préface de la première édition et que Jean Dion est la personne qui a eu le plus d’influence sur ma carrière.

Bref, je vous recommande fortement ce livre.

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Les ingénieurs du chaos

On reste dans la littérature puisque je viens de terminer le livre de Giuliano da Empoli, « Les ingénieurs du chaos ». Je suis un peu en retard puisqu’il est sorti en 2019, mais ce dont on y parle est toujours d’actualité. En gros, l’auteur relate l’ascension de divers mouvements populistes propulsés dans les dernières années par les algorithmes des réseaux sociaux. Il y est question du Mouvement 5 étoiles en Italie, du Brexit, de Donald Trump et de Marine Le Pen, entre autres. On y fait le portrait de ceux qui ont fait lever ces mouvements en coulisses, lesdits ingénieurs du chaos.

Le populisme a toujours existé, mais son ascendance s’est décuplée grâce aux algorithmes et certains ont vu venir le phénomène et ont compris qu’il était possible de transformer les faiblesses des populistes en force:

« Les défauts des leaders populistes se transforment, aux yeux de leurs électeurs, en qualités. Leur inexpérience est la preuve qu'ils n'appartiennent pas au cercle corrompu des élites et leur incompétence est le gage de leur authenticité. Les tensions qu'ils produisent au niveau international sont l'illustration de leur indépendance, et les fake news, qui jalonnent leur propagande, la marque de leur liberté d'esprit. En cultivant la colère de chacun sans se préoccuper de la cohérence de l'ensemble, l'algorithme des ingénieurs du chaos dilue les anciennes barrières idéologiques et réarticule le conflit politique sur la base d'une simple opposition entre le « peuple» et les « élites »

De tout ça émane un chaos qui permet à ces mouvements de se faufiler. Parce que « l’indignation, la peur, le préjudice, l'insulte, la polémique raciste ou sexiste se propagent sur la toile et génèrent bien plus d'attention et d'engagement que les débats soporifiques de la vieille politique », dit-il. Si vous êtes abonné à cette infolettre depuis longtemps, vous savez que c’est quelque chose que j’ai dit souvent (vous en êtes peut-être même gossé).

Il est bien sûr tentant de faire des parallèles avec la politique de chez nous. Ici aussi nous avons des ingénieurs du chaos. Bon, ce sont des ingénieurs du chaos du Dollorama, mais quand même. Leur version Wish (ça existe-tu encore, Wish?). Je ne sais pas qui est derrière la stratégie d’Éric Duhaime (s’il a une stratégie), mais ils se sont clairement rendus à l’évidence qu’ils devaient eux aussi embrasser le chaos. En fait, je soupçonne que leur stratégie soit simplement d’imiter ce qui se fait ailleurs, mais peu importe, le résultat est semblable. Ce sont des copistes du chaos.

En avril 2023, Éric Duhaime répondait ceci à Richard Martineau qui lui demandait naïvement si mettre « de côté toutes les questions de conservatisme social, puis s’en tenir à l'économie » pourrait inciter les gens à voter davantage pour lui:

« C’est parce que personne va savoir que j'existe, pauvre toi. C’est ça qui est arrivé à Adrien Pouliot (NDLR: le chef précédent du PCQ), dis moi pas que ça marche. Il était pas capable d'attirer l’attention. Quand tu parles d'une drag-queen, veut, veut pas, écoute, on a ramassé quoi, 38 000 pétitionnaires en l'espace de même pas une semaine. »

C’est un peu ce qu’a déjà dit le bras droit de Nigel Farage, l’un des leaders du Brexit: « Quand nous publions quelque chose sur l'économie, nous recevions trois ou quatre mille likes tout au plus. Si nous mettions quelque chose d'émotionnel, nous avions chaque fois quatre ou cinq cent mille likes, parfois même deux ou trois millions! »

La semaine dernière, le chef du PCQ faisait une conférence de presse de 30 minutes avec son candidat médecin pour parler du privé en santé. Résultat? Un seul article, dans Le Devoir, sur un autre sujet rapidement évoqué à la période de questions:

Voilà ce qui a fait parler dans les médias: sa position sur la « déportation » de demandeurs d’asile vers d’autres provinces. Comme les drag queens, comme les toilettes mixtes, comme la pandémie, c’est ça qui est payant pour ceux qui veulent générer du chaos dans l’opinion publique. Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise, comme disait l’autre.

Giuliano da Empoli nous dit que dans ce nouveau monde, il faut enflammer les passions de multiples groupuscules pour les additionner. Ceux qui sont inquiets des drag queens, ceux qui sont inquiets des immigrants, ceux qui sont inquiets des transgenres, ceux qui sont inquiets de porter un masque, ceux qui sont inquiets de ne plus pouvoir faire de skidoo… ça fait beaucoup de monde au final. On appuie sur les boutons de ce qui les choque et ça donne une constellation de personnes en colère qui sont unies sans nécessairement le savoir. Du génie.

Le diffamateur du régime

Qu’est-ce qu’on peut faire contre ça? Giuliano da Empoli n’a pas vraiment de solution précise et personne ne semble en avoir trouvé depuis la publication du livre en 2019.

Je note quand même qu’il trouve futile de faire de la vérification de faits ou de se moquer de ces influenceurs mal-pensants.

« Dans ce climat, il n'y a rien de plus délétère que d'interpréter le rôle du trouble-fête. Le fact-checker qui souligne l'erreur au stylo rouge, le libéral au sourcil relevé qui s'indigne de la vulgarité des nouveaux barbares. « Voilà pourquoi la gauche est aussi malheureuse, dit Milo Yiannopoulos, elle n'a pas la moindre tendance à la comédie ou à la célébration. » Aux yeux du populiste en fête, le progressiste est un pédant avec le petit doigt levé. Son pragmatisme est devenu un synonyme de fatalisme, alors que les Rois du Carnaval promettent de dynamiter la réalité existante.

Et on ne peut pas faire grand-chose contre ceux qui relaient de fausses informations. Giuliano da Empoli cite un blogueur américain qui dit que les fausses informations sont un formidable vecteur de cohésion:

 « N'importe qui peut croire à la vérité, tandis que croire dans l'absurde est une vraie démonstration de loyauté. Et qui a un uniforme, a une armée. »

C’est un peu ce qui m’est arrivé avec ce prof du Kazakhstan l’autre jour. Ses amis et lui se foutent totalement d’avoir trafiqué des contenus. Leurs fans ont du fun à le croire. En plus, ils m’ont bloqué sur X pour être bien certains de pouvoir vivre leurs vies exaltantes dans une réalité parallèle. Quand même, quelqu’un m’a envoyé cette capture-écran.

Il y a tellement de niveaux là-dedans que j'en perd des bouts, mais une chose est sûre: je n’ai jamais vu des gens aussi peu fiers d’être cités.

Tout ça pour dire que des fois, je me dis que ce que je fais peut éveiller quelques personnes par-ci par-là, et que c’est mieux que rien, mais d’autres fois j’ai envie de revenir à mes premiers amours et de parler de sport…

Plogues

Olivier Niquet 24/7 (en jaquette)
À moitié endormi, Olivier Niquet commente l’actualité un café à la main tous les matins de semaine.

Pour une droite moins saucée

J’ai dit qu’il n’y avait pas de solution, mais Ira Glass, l’animateur du légendaire This American Life proposait dans un balado qu’une personne charismatique de droite dont le « produit » serait basé sur les faits manque au paysage médiatique. Il faudrait ce genre de personne pour redonner confiance à ceux qui ne croient plus au journalisme:

« Il n'y a personne qui tente de fournir des informations factuelles aux gens qui regardent Fox News, aux personnes comme les gens que tu rencontres dans une foule MAGA. J'ai l'impression que personne dans les médias traditionnels n'essaie de créer un produit qui pourrait percer auprès de ceux qui ne croient pas aux médias traditionnels. Et je pense que c'est un projet vraiment intéressant. Quand tu te demandes qui pourrait le faire, tu voudrais quelque chose comme le Daily Show, mais animé par un humoriste plutôt de droite, comme un Bill Burr ou, tu sais, quelqu'un issu de tout ce monde des gars de droite. »

On a l’impression qu’une large part du public qui se dit de droite n’a pas le choix de se tourner vers ces médias d’un monde parallèle. C’est surtout le cas aux États-Unis, bien sûr, mais nous ne sommes pas à l’abri. Nos copistes travaillent là-dessus. Peut-être que s’ils avaient une offre différente, une offre de droite « divertissante » mais basée sur des faits, comme le Daily Show, ils seraient plus ouverts.

Je n’y crois pas trop, mais on peut rêver. La droite mérite mieux.

Musique

J’ai beaucoup aimé Pypy en show. Ils viennent de sortir un nouvel album. Je disais à Paul Journet qui portait un chandail de Pypy cette semaine que j’adorais ce genre de musique en concert, mais que je n’avais pas tant d’occasions de l’écouter dans la vraie vie. Il m’a dit: « faut que t’écoutes ça en char ». C’est noté.

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