La passe-passe du screenshot

Au menu: Vers la semaine de trois jours, les captures écrans pour tromper les gens, des influenceurs russes à l’insu de leur plein gré et vivre pour haïr.

La passe-passe du screenshot

J’ai enregistré cette semaine mon Bêtisier 2024. C’est la 9e édition et je dois vous avouer que j’ai un peu l’impression que le monde a régressé cette année. Mais je vous jure que c’est quand même plus drôle que déprimant. Vous pourrez écouter ça autour du 31 décembre. Je vous ferai signe, promis.

Semaine de trois jours

Honnêtement, je me suis demandé si je n’aurais pas pu faire enregistrer ce Bêtisier par ma voix clonée grâce à l’intelligence artificielle. Comme c’est scripté à la virgule près et que je suis seul en studio, ça aurait pu faire le travail. Ça m’aurait fait gagner du temps. Tsé, des fois, parler, c’est long.

D’ailleurs, récemment, Bill Gates (le fondateur de Microsoft et l’inventeur de la COVID, je crois) a dit dans un balado qu’il voyait poindre à l’horizon la semaine de trois jours:

« Selon lui, les progrès apportés par l’intelligence artificielle permettront un tel aménagement, sans que les entreprises ne perdent en productivité. « Si l’on arrive un jour à une société où l’on ne travaille plus que trois jours par semaine, ce sera probablement une bonne chose »

Je sais, je sais, ça fait des années que nos parents nous disent… que ça fait des années qu’on leur promet la société des loisirs. Beaucoup d’années au total, donc. Mais ça me semble assez évident qu’il va falloir réorganiser le monde du travail à cause de l’intelligence artificielle et de la robotisation. Si on veut que tout le monde ait un job, il faudra peut-être alléger les plages horaires, revoir la structure des salaires.

En même temps, ça fait longtemps que je me dis que la technologie va tout changer, mais ça ne change pas si vite. Faut dire que j’ai toujours été un « early adopter » et que j’ai passé ma vie à me demander « voyons, pourquoi les gens n’utilisent pas encore cette technologie révolutionnaire ». Prenez le télétravail. Quand j’étudiais en urbanisme, je m’intéressais beaucoup à l’impact des technologies sur l’aménagement urbain et la gouvernance. Mon mémoire de maîtrise portait sur la façon dont les gens parlaient d’urbanisme sur les forums de discussion (c’était avant Facebook). Mais je m’intéressais aussi aux effets du numérique sur la ville physique et j’étais certain que les technologies qui permettaient le télétravail allaient changer l’allure de nos villes. Finalement, c’est plutôt la pandémie qui a propulsé le télétravail.

J’étais un peu naïf de penser que les villes allaient changer rapidement si on pouvait délocaliser les lieux de travail, mais aussi naïf de penser que les entreprises allaient accepter de laisser leurs employés sans supervision faire de la comptabilité au chalet. N’empêche que j’ai encore des doutes sur l’avenir des centres-villes et encore plus avec la démocratisation prochaine de la réalité virtuelle.

Ajoutez à ça l’intelligence artificielle et la robotisation qui vont nous remplacer dans beaucoup de tâches et on pourrait très bien l’avoir, notre société des loisirs. On aura beaucoup de temps à passer à se faire bronzer sur le bord de notre piscine en attendant la fin du monde. Ou en la provoquant en foutant le bordel sur nos téléphones parce qu’on n’a rien d’autre à faire.

Plogues

L’ère des screenshots

Je suis toujours heureux pour l’instant avec Bluesky comme principal fil d’actualité, mais je continue d’aller régulièrement sur X pour voir comment ça va. Ça a peut-être à voir avec mon éventail d’abonnements, mais ça ne va pas super bien. Les gens sont en colère (aussi, vous ne me croirez pas, mais j’ai vu du monde parler d’ivermectine).

Mais j’ai remarqué qu’une tendance s’est solidement implantée chez les influenceurs mal-pensants: ne jamais mettre de liens vers les médias qu’ils citent. Si vous ne suiviez que la constellation des têtes d’affiche de Radio X, de Libre Média, de Radio Pirate, de la complosphère ou de certains balados indépendants, vous ne pourrez presque jamais cliquer sur un lien pour aller voir les détails d’une nouvelle. On ne vous fournira qu’une capture écran avec un titre, ou une capture écran d’un paragraphe. Une belle passe-passe.

On ne veut pas vous informer de quelque chose, on veut vous enrager de quelque chose. Parce que ça vient généralement avec un mot d’esprit qui incite à mettre en maudit. Quand je dis « mot d’esprit », je pense à « crosseur », « tiers-monde », « communiste » ou « vos taxes!!1! ». Impossible d’aller voir le texte des médias cités (médias qu’ils conspuent par ailleurs) et les nuances qu’il pourrait apporter.

Je sais, je ne suis pas la meilleure personne pour dénoncer les citations hors contexte. « Hors contexte » est la critique à mon endroit que j’ai la plus souvent entendue au fil des ans. Mais le contexte est la chose sur laquelle je mets le plus d’effort dans mes chroniques. Je fais tout pour ne pas faire dire des choses qui ne sont pas dites et pour expliquer dans quel cadre elles sont dites.

Surtout, en tout cas dans ma tête, je ne fais jamais ça pour enrager les gens. Je le fais pour les faire rire. Je n’ai malheureusement pas de contrôle sur comment c’est reçu. Si je relaie une citation d’un politicien sur les réseaux sociaux, il est bien possible que quelqu’un le traite de pourriture en commentaire. Ce n’est jamais mon but. Dans ma tête, c’est toujours très clair: « regardez la drôle de chose que j’ai entendue ». Je pense que le ton que j’utilise va dans ce sens et je ne fais pas exprès pour engendrer des réactions agressives. J’évite aussi les sujets trop sensibles. Je n’ai pas relayé la nouvelle de l’infarctus d’Éric Duhaime, parce que je n’aurais pas aimé voir des commentaires désobligeants. Il n’y en a donc pas souvent sous mes publications.

Mais si vous allez voir les commentaires sous les publications des influenceurs susmentionnés, vous risquez d’être dégoûtés par l’humanité. Si je suscitais ce genre de réaction, je prendrais ma retraite des médias et je retournerais me tromper sur les villes du futur.

Je l’ai déjà dit, mais je n’ai pas ça en moi, de haïr quelqu’un. Le summum de mon émotion envers un individu est de le trouver un peu gnochon. Ça explique peut-être ma belle naïveté de penser que ce que je fais ne génère pas de colère chez les gens.

N’empêche que ceux qui détestent vraiment leurs « adversaires » idéologiques risquent d’être malheureux. Comme le dit Joan Westenberg, se définir par ce qu’on haït nous rend misérable:

« Vous trouverez des gens dont toute la personnalité se résume à être anti-woke, anti-capitaliste, antireligieux, anti-athée, anti-technologie, anti-luddite… la liste est longue. La cible spécifique varie, mais le mécanisme psychologique reste remarquablement constant. Pourquoi cela arrive-t-il ? D'abord, il y a le petit coup de dopamine lié à la colère vertueuse. Lorsque vous identifiez quelque chose que vous détestez, vous ressentez une petite poussée de satisfaction. « Aha ! Je le savais ! Ils refont encore cette chose terrible ! » Cela crée une boucle de rétroaction — votre cerveau commence activement à chercher des choses qui suscitent votre colère, car la colère est devenue gratifiante. »

J’avais déjà lu que l’indignation était quelque chose de gratifiant parce qu’au cours de son évolution, l’humain avait développé ce mécanisme pour réguler les comportements en société. Si vous êtes une gang dans une caverne et que quelqu’un se fouille dans le nez, l’indignation du reste du groupe fera que vous allez changer votre comportement. Ce serait pour ça que c’est agréable de s’indigner. Ça marchait bien quand ça se faisait en personne. C’est juste qu’avec les réseaux sociaux, il y a un compteur de notre indignation. On est gratifiés à coup de likes et ça nous rend heureux de voir que d’autres personnes pensent comme nous, sont fâchés comme nous. On recherche ça. Je ne m’exclus pas de cette équation. Pas plus cave qu’un autre, j’en veux, des likes.

Selon Westenberg, l’antidote à cela sera de fonder notre personnalité sur ce qu’on aime. C’est pourquoi je suis content d’être reconnu comme quelqu’un qui expose les filous de l’opinion publique, mais aussi comme quelqu’un qui aime Canadien et la lasagne.

Itinérance

Beau reportage d’Hugo Meunier:

« Deux hommes fument du crack sous le nez des passants sur Saint-Denis, une femme est en crise devant le Palais des congrès, quelques tentes sont installées contre la vitrine décorée du magasin La Baie et des gens dorment un peu partout dans la station de métro Bonaventure : le spectacle de la misère aperçu en un seul trajet pour me rendre au travail n’a plus rien d’inusité. De quoi exacerber mon cynisme, presque au point de hausser les épaules en croisant un énième campement pour sans-abri. Ce qui était pratiquement impensable, voire très marginal il y a dix ans, est devenu la norme, se greffant naturellement au paysage urbain. »
Itinérance : entre exaspération et intolérance
Une année marquée par une douche froide, « Baby Shark » et le retour en force du « pas dans ma cour ».

La filière russe au Québec

Radio-Canada a rapporté cette semaine les résultats d’un rapport sur l’ingérence des influenceurs russes au Canada. En fait, c’est un rapport qui revient sur l’histoire de Tenet Media, une entreprise dont le siège social était à Pointe-Claire et qui était financée par la Russie pour payer des influenceurs américains et les inciter à relayer la propagande russe en Amérique. Ledit rapport publié la semaine dernière s’est intéressé aux influenceurs intermédiaires, ceux qui ont diffusé les messages des influenceurs primaires bénévolement, sans trop savoir que la Russie était derrière tout ça. Le rapport complet est ici.

Il y est question de deux personnages du Québec qui avaient une petite tendance à être vites sur la gâchette pour retweeter les contenus de ces influenceurs:

 « Les publications sur les réseaux sociaux d'environ 4000 comptes canadiens ont aussi été analysées par les chercheurs. De ce nombre, quelques centaines ont été identifiés comme des bridges influenceurs (intermédiaires), c'est-à-dire des personnalités proches de Tenet Media. Les intermédiaires influenceurs sont des personnalités qui vont reprendre les messages de Tenet Media et vont les modifier pour les adapter à un auditoire canadien, a expliqué Aengus Bridgman, en précisant qu'ils ont souvent des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers d'abonnés. »

On y nomme entre autres un professeur de Concordia qui est dans les bonnes grâces d’Elon Musk (et de baladodiffuseurs locaux) et une influenceuse qui se dit journaliste (je n’ai pas trouvé ce bout dans le rapport par contre).

Disons qu’ils ne sont pas les seuls à donner « le point de vue » de la Russie dans nos médias. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais je me demande s’ils savent, ou s’ils aimeraient savoir, que les contenus qu’ils diffusent sont possiblement manipulés? En tout cas, personnellement, j’aimerais bien savoir si j’étais instrumentalisé par le Venezuela, l’internationale woke ou le puissant lobby du vélo. J’imagine que c’est plus facile de passer outre lorsqu’on est payé, mais lorsqu’on le fait bénévolement, c’est un peu moins le fun.

Parlant d’influenceurs payés par des lobbys, c’est quand même fascinant cette histoire d’influenceurs de VR ou de chihuahuas qui désinforment pour le compte de l’industrie du plastique.

Mort médiatique

Ah oui, sur X, on a eu ce beau message universel du chanteur Yann Perreau la semaine passée.

Je suis pas certain que c’est la même chose (avez-vous vu comment je n’incite pas à la colère?).

Musique

Tiens, Al Green qui fait du REM. Via Lecture aléatoire.

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