La sphère publique déboule les escaliers

La sphère publique déboule les escaliers

D’abord, désolé de vous avoir fait faux bond vendredi matin. Je suis allé chez le dentiste et ça a tout fucké mon horaire. Oui, mon horaire souffre d’une seule visite chez le dentiste (et mes gencives aussi). D’ailleurs, je ne serai pas au rendez-vous la semaine prochaine pour cause de congé. Même chose pour Tourniquet Express et Olivier Niquet en jaquette (sauf pour une édition spéciale). De retour dans la semaine du 7 avril. Pour rester informés entre temps, consultez l’internet.

Les abonnés de niveau supérieur pourront lire à la fin de cette infolettre une petite histoire sur Stéphane E. Roy qui vient de sortir l’excellent film Pédalo et qui à une époque, m’avait donné de la marde en privé parce que je l’avais associé à QAnon.

Domination médiatique

J’essaie de ne pas être redondant, mais vous aurez peut-être remarqué que je m’intéresse beaucoup à comment se redessine l’écosystème médiatique. Ce n’est pas nouveau. En 2006, Jean-Philippe Wauthier et moi avions fondé un média citoyen inspiré d’AgoraVox en France. Agoravox existe encore, et semble avoir gardé un look des années 2006. Ça s’appelait Centpapiers. Les journalistes « citoyens » s’y inscrivaient et soumettaient des nouvelles qui étaient (relativement) révisées par les pairs. J’avais écrit une sorte de manifeste à l’époque. Je le mets ici, pour la postérité, parce qu’il n’a plus l’air d’être disponible en ligne.

Malgré une certaine naïveté, il y a encore du bon là-dedans. Par contre, j’ai un peu déchanté à propos du journalisme citoyen depuis, même s’il est devenu omniprésent. Je crois moins qu’avant en l’intelligence collective. Aujourd’hui, tout le monde produit de l’information et participe au débat public. Ça a du bon, mais le mauvais prend beaucoup de place.

Les influenceurs mésinformés ou malhonnêtes dominent le monde de la production citoyenne en ligne en étant les plus efficaces à tirer profit des algorithmes des réseaux sociaux. Il y a trois semaines, je suis allé discuter à l’émission Dans les médias de la nébuleuse qui émergeait autour de Radio X. Le contenu de cette station est parfait pour notre ère: la rage, l’indignation, l’exagération et le flattage dans le sens du poil d’un auditoire qui ne veut pas la vérité, mais une vérité qui fait son affaire. Ils ont su adapter leur contenant et harnacher les forces vives de la contestation pandémique pour s’affranchir de la géographie. C’est la vision de la chose que j’ai présentée à Dans les médias et après m’avoir blasté pendant dix minutes, les animateurs de Radio X on fini par dire que c’était pas mal un portrait juste de la situation.

Ici, l’influence de ces dudes est limitée. Pour se penser bon suite à mon passage à Télé-Québec, un chroniqueur de Radio X disait que leurs contenus en ligne avaient obtenu trois millions d’écoutes… en six mois. Ce n’est pas énorme, me semble. La situation est différente en France et aux États-Unis où ce type de contenu bénéficie d’un plus large public. Évidemment, l’auditoire québécois consomme maintenant ce qui se fait dans ces pays autant que ce qui se fait ici.

La semaine dernière, Media Matters a dévoilé une étude sur la domination de la droite dans le paysage numérique américain. Ils ont analysé 320 balados et chaînes YouTube parmi les plus populaires en les classant selon leur penchant idéologique pour voir qui fédérait le plus d’auditoires. Un exercice toujours un peu bancal ,comme c’est de plus en plus difficile d’identifier ce qui est de droite ou de gauche, mais bon. Quelques résultats:

Parmi les productions analysées, Media Matters a inclus des balados qui ne sont pas spécifiquement dédiés à la politique:

« De plus, ces émissions de droite couvrent une plus grande variété de catégories, s’identifiant elles-mêmes par des sujets tels que les affaires, la comédie, les jeux, l’éducation, le divertissement, la religion et la spiritualité, la société et la culture, le sport, le bien-être/la santé et la technologie. Pendant ce temps, les émissions de gauche qui ne sont pas explicitement identifiées comme liées à l’actualité et à la politique s’identifient principalement comme des programmes de comédie, de divertissement ou de société et de culture. »

Est-ce qu’un balado de sport peut être un balado de droite? Ça me semble un peu stretché. Bien sûr, comme les balados sont l’occasion de dériver un peu vers toutes sortes de sujets, il peut arriver que les choses dérapent.

Petite parenthèse à ce sujet: je suis tombé cette semaine, Dans le balado Stanley25, Max Truman résident de Repentigny (que j’aime bien par ailleurs, on a joué au hockey cosom longtemps l’un contre l’autre) s’est indigné que la candidate du PQ qui veut faire la guerre à l’auto ait été élue.

@9millions_

Max se choque contre la guerre à l'auto à Terrebonne! 😂 #stanley25 #quebec #montreal #politique #terrebonne #actualité #qc #fyp

♬ son original - 9millions - 9millions

La candidate du PQ ne voulait pas que les gens lâchent leur auto pour prendre le transport collectif déficient de Terrebonne, elle disait qu’il fallait investir dans le transport collectif pour qu’il ne soit plus déficient et que les gens n’aient pas besoin d’avoir quatre chars dans leur cours. C'est pourtant la version tronquée que l'on a entendu à la fin de la campagne dans certains médias. Je m'y connais en matière de citations hors-contexte, et celle-là était solide. En tout cas. Est-ce que ce genre de raisonnement mésinformé fait de Stanley25 un podcast de droite? Je ne pense pas.

En réaction à l'étude de Media Matters, l’humoriste et journaliste (ça l’air que ça s’peut) Francesca Fiorentini se demandait si le calcul de Media Matters était juste. Selon elle, il aurait peut-être fallu aussi inclure des balados sur la mode ou la culture pop qui ont clairement une « vibe » progressiste. Mais j’ai surtout aimé le commentaire de son invité Sam Seder qui citait l’influent polémiste d’extrême droite Milo Yiannopoulos.

Il aurait dit dans une entrevue que la stratégie de la droite populiste était « fake it until we make it ». Il y aurait expliqué que des milliardaires achetaient des abonnés et des téléchargements pour des balados, entre autres celui de Ben Shapiro, pour être en haut du palmarès. Rendu là, le public se dit: on va l’écouter... parce que c’est le plus écouté. Ce n’est pas une croissance organique, c’est une croissance factice. Derrière les chiffres largement avantageux pour la droite dans cet écosystème, quelle proportion est fake? Impossible à dire.

Comme le disait Paul Journet en fin de semaine à propos de l'élection qui vient d'être déclenchée, la consommation médiatique des électeurs explique bien des choses:

« Un jeune qui consulte peu les médias sera moins inquiet de la menace posée par la Maison-Blanche. Et puisque ce profil d’électeur est moins diplômé, il tendra à avoir un revenu inférieur. Voilà justement le type de personne susceptible de souffrir de la hausse du coût de la vie. Cela explique d’ailleurs pourquoi les conservateurs deviennent plus populaires auprès des jeunes. Contrairement à ce qu’enseigne la sagesse populaire, c’est la droite qui a besoin de faire voter l’électorat désengagé. »

Pourquoi pensez-vous que les influenceurs populistes répètent sans arrêt à leur auditoire d’arrêter de suivre les médias traditionnels? « Les médias sont les ennemis » nous dit-on à Radio X à toutes les heures.

Justement, de plus en plus de journalistes et de chroniqueurs se lancent à leur compte dans ce marché. Aux influenceurs populistes (je préfère ça plutôt que de les dire à droite), on oppose des personnalités publiques issues du milieu médiatique. En France, le site Méta média a traité de ce phénomène:

« De plus en plus de journalistes français se lancent dans l’aventure, en quête de sens et de liberté. « Après plus de trois ans au service vidéo du Monde en CDI, je me suis dit : soit j’arrête le journalisme, soit je deviens chauffeur de taxi pour parler de nouveau aux gens, soit je me lance sur YouTube en indépendant », raconte le journaliste Benoit Le Corre, qui, à force de passer du temps derrière son ordinateur, s’est senti complètement déconnecté de la réalité et de l’actualité. Finalement, le trentenaire choisit le grand huit numérique. Il publie sa première vidéo, en tant qu’indépendant, en décembre 2024 qui raconte le quotidien d’un homme statue, un artiste de rue au maquillage doré. La simplicité de la démarche fait mouche. Quatre mois plus tard, sa chaîne compte 134 000 abonnés »

Les journalistes deviennent des médias en tant que tels, comme le dit le NY Mag:

« Le rêve initial que Substack vendait, celui de journalistes indépendants gagnant leur vie grâce aux abonnements, a été éclipsé par un nouveau modèle hybride. De plus en plus, les gens ne sont pas là pour gagner de l’argent, mais pour promouvoir leurs articles et leurs livres et pour dialoguer avec d’autres professionnels des médias sans être harcelés par des comptes de bots nazis adorant Elon (bien que Substack ait ses propres problèmes nazis). Pendant ce temps, il est possible de gagner de l’argent grâce à des sources autres que les abonnements. « J’avais l’impression que Substack était contre les marques et la publicité au début. Maintenant que de plus en plus de marques s’y joignent, il semble qu’il les accueille », a déclaré Karten, soulignant que Substack avait organisé un événement conjoint avec la plateforme de revente de luxe The RealReal au restaurant King à Manhattan mardi soir. « En tant qu’utilisateur, cela me fait me demander si nous pourrions commencer à voir des publicités dans Notes. En tant que marketeur, je vois l’opportunité - mais cela peut être une pente glissante. »

C’est une bonne nouvelle qu’autant de gens veulent lire des textes sur internet et que des journalistes en profitent, mais je ne suis vraiment pas sûr de Substack comme véhicule. Rien n’indique que ses propriétaires et financiers douteux vont l’empêcher de devenir une grosse bouette.

Tout ça pour dire que le journalisme citoyen prend de plus en plus de place, mais ça se fait au détriment du journalisme professionnel, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Comme je disais en 2006, l’idée n’est surtout pas de promouvoir les médias citoyens au détriment des médias traditionnels, mais de partager les responsabilités des médias, telles que décrites par Anne-Marie Gingras de l’Université Laval:

Le nouvel écosystème médiatique s’éloigne un peu de tout ça, mettons. Et rapidement. Comme si la sphère publique déboulait les escaliers…

Plogues

Math 536

Au fil des ans, j’ai souvent entendu Jeff Fillion dire que les politiciens et les journalistes sont poches en math et que c’est la cause de tous les maux. Ça ne l’empêche pas de se ridiculiser avec des calculs comme ça.

Jeff Fillion n’a pas étudié longtemps et je doute qu’il a fait ses maths 436. Ça ne veut pas dire qu’il ne sait pas compter et je pense que dans ce cas-ci, il profite surtout du manque de littératie économique de son auditoire pour essayer de leur passer n’importe quoi.

Textoverti

Quelqu’un m’a envoyé cette image cette semaine:

Disons que je me reconnais beaucoup là-dedans. Je mets beaucoup de points d’exclamation quand je jase avec quelqu’un sur internet, mais beaucoup moins dans la vraie vie…

J’ai gagné un pool!

La semaine dernière, Julia Pagé de Rad est débarquée en studio pour nous demander à brûle-pourpoint de faire une prédiction sur le moment du déclenchement des élections.

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Julia Pagé (@_julia_page_)

Une grande victoire pour l’information autrement.

Un métro sans flânage

Reportage photo sur le métro après la nouvelle politique sur le flânage:

Le métro après le ménage du printemps
Dernière station avant l’hiver prochain.

Musique

Nouvel album d’Ariane Roy cette semaine. Un peu plus électro!

⚑ PREMIUM: Stéphane E. Roy, QAnon et la censure

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