L'irrationnel, les arnaqueurs et l'introverti

Je sais que je parle souvent des insultes que je reçois sur les réseaux sociaux depuis quelque temps, mais c’est un phénomène nouveau pour moi. Il semble que je sois rendu assez big pour que ça vaille la peine de m’insulter, ou assez big pour que ma voix transcende les univers parallèles et les algorithmes. Je comprends un peu mieux pourquoi les chroniqueurs les plus populaires et les politiciens bloquent autant de gens sur Twitter. C’est qu’un moment donné, on n’arrive plus à voir les tweets pacifiques au travers de ceux provenant de fanatiques ou d’une quelconque usine à troll de Québec (mais ça pourrait aussi être Drummondville). Il faudra peut-être que je me décide à monter moi aussi des barricades sur mes réseaux sociaux.

À ce sujet, j’ai bien aimé le texte de Marie-France Bazzo dans La Presse. Elle y explique le nouvel axe du débat public. L’axe rationnel/irrationnel:

En des temps immémoriaux, une ligne de fracture structurait nos débats : souverainisme/fédéralisme. Depuis 2012 sont apparus d’autres axes : gauche/droite, générationnel, centre vs régions. En deux ans de pandémie, ils se sont creusés. Mais on a aussi vu surgir une fracture totalement nouvelle, qui nous saute aujourd’hui au visage : l’axe rationnel/irrationnel. Si la majorité s’accommode du réel chaotique, une solide minorité vit dans une réalité parallèle. On les a vus à Ottawa, à Québec. On les lit sur les réseaux sociaux où ils fleurissent. Des gens ordinaires, d’autres moins, 10 à 15 % de la population, selon la manière dont on les calcule, de l’antivax craintif au trumpiste convaincu. Il y a parmi eux des citoyens sincèrement inquiets, ou en détresse. Des exaltés qui se sont trouvé un exutoire, des évangélistes, des gourous PayPal, jusqu’à des manipulateurs assoiffés de pouvoir, soutenus par l’extérieur.

En plus, comme je disais dans mon billet pour l’Actualité, il y a ceux qui contribuent à forger ce monde parallèle en disant systématiquement le contraire des analyses qu’on l’on croirait rationnelles, et ce, pour miser sur la confusion que le choc des réalités alternatives provoque. Pour mousser leur notoriété et éventuellement leur compte de banque, ils manipulent les gens. Nous sommes dans un monde d’arnaqueurs, au fond. Mais les arnaqueurs ont un bien plus grand terrain de jeu qu’à l’époque des Chats bottés.

Les outils technologiques servent bien sûr ces arnaqueurs. On veut tellement que les gens restent dans leur bulle parallèle qu’on crée des réseaux sociaux juste pour eux. J’ai très hâte d’essayer le nouveau réseau de Donald Trump d’ailleurs. Ça risque d’être un très efficace moteur de radicalisation. À ce sujet, il faut regarder ce documentaire de Louis Théroux de la BBC qui est allée rencontrer des trolls suprémacistes blancs, donc un très populaire qui a 22 ans et qui vit dans le sous-sol chez ses parents. Inquiétant.

Les antipodes de Reddit

Dans le même ordre d’idée, j’ai pu observer sur Reddit une conséquence de cette polarisation. J’aime beaucoup Reddit. On y trouve des contenus qu’on voit moins ailleurs et on peut s’abonner à des subreddits selon nos champs d’intérêt. C’est la communauté, en votant, qui détermine les contenus les plus intéressants. Bref, il y a un subreddit québécois, r/Quebec. Mais il y aussi des communautés plus marginales.

Je ne sais pas ce qui a provoqué la création de r/metaquebec et de r/QuebecLibre mais clairement, leurs abonnés n’aiment pas trop ce qui se passe sur r/Quebec. Et ils ne semblent pas apprécier les divergences d’opinions. Sur r/Quebeclibre, la communauté plus à droite où « on encourage au maximum la liberté d'expression et les débats sans restrictions », certains se sont inquiété la semaine dernière que tout le monde ne pensait pas pareil.

Le subreddit anticapitaliste aussi semble déçu de l’opinion de certains.

Bref, il y a une petite tendance à vouloir se parler entre nous et ça me décourage un peu.

Populisme pandémique

Pour rester dans les univers parallèles (je m’en viens pas pire à savoir où mettre les deux ‘l’ dans parallèle), j’ai bien aimé le texte d’Élizabeth Vallet dans Le Devoir. Il y est question de populisme pandémique:

Les médias sociaux ont joué un rôle déterminant dans la promotion des extrêmes et la normalisation de théories délirantes, comme le montre l’analyse du professeur Paul Bleakley. Toutefois, le rôle central de certaines radios, mais aussi de médias établis comme Fox News a été une des clés, expliquent les chercheurs Yunkang Yang et Lance Bennett, de la coproduction de récits erronés, par exemple sur la pandémie, contribuant à la promotion de vues contraires à la réalité.

C’est le «playbook» d’Éric Duhaime. Il est le candidat de Radio X, une station dont plusieurs animateurs participent à la création de ces «vues contraires à la réalité». Une réalité où Justin Trudeau est un dictateur et où il faut censurer ceux qui ne pensent pas comme nous, en prétextant, comble de l’ironie, qu’ils exagèrent. Je sais. Tout ça est déprimant.

Les rois du silence

Heureusement, il y a de bonnes nouvelles. D’abord, l’annonce de la sortie de mon premier «vrai» livre. Un essai qui ne se prend pas au sérieux et qui devrait plaire à introvertis, aux extravertis et à ceux qui aiment rire.

ÇA ce n’est pas polarisant!

Dans un monde où les grandes gueules ont toujours le dernier mot, les introvertis peinent souvent à faire leur place, ou tout simplement à signifier leur existence. En tant que porte-parole involontaire de la majorité silencieuse, Olivier Niquet nous explique comment réfléchissent ses semblables, comment les nouvelles technologies ont libéré leur « parole » et comment on pourrait s’inspirer d’eux pour apporter un peu plus de nuance dans nos débats, atténuer la polarisation et sauver la planète (ou, du moins, guérir deux ou trois personnes de leur enflure verbale).

À l’aide d’anecdotes douteuses, de malaises palpables et d’études scientifiques semi-rigoureuses, il se penche aussi sur son propre cas, celui d’un introverti qui s’est retrouvé, contre toute attente, à travailler dans les médias. Avec Les rois du silence, il aide les introvertis et les extravertis à mieux se comprendre, et surtout à mieux se parler.

Aussi, avec la fin de La soirée est (encore) jeune, Juste pour rire nous organise un bien cuit. Pendant deux heures, j’irai me faire dire que je suis mésadapté social par des personnalités publiques sans pouvoir répliquer (ce qui est ma spécialité). Vous pouvez acheter des billets ici.