On ne peut plus rien dire sans se faire traiter de dictateur tueur

On ne peut plus rien dire sans se faire traiter de dictateur tueur

Bienvenue sur Tourniquet, l’infolettre d’Olivier Niquet sur la bêtise médiatique et politicienne, l’urbanisme et les dictateurs tueurs (en tout cas, pour cette fois-ci).

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Le pourrissement de l’internet

Justement, 404 media, a fait un texte dernièrement expliquant pourquoi autant de médias étaient agressifs et gossants en vous demandant vos adresses courriel:

« En gros, nous réalisons à travers notre propre travail de reportage que pour lutter contre la fragmentation des réseaux sociaux, la crise de découvrabilité sur Google alimentée par le spam généré par l’IA et le référencement dopé à l’IA, ainsi qu’un marché des médias qui est en chute libre, nous devons être en mesure de toucher nos lecteurs directement en utilisant une plateforme que nous possédons et contrôlons. Pour ce faire, nous avons besoin de votre adresse courriel.

Au Québec, il y a en plus la question du blocage des sites d’information sur Facebook. D’ailleurs, à ce sujet, si vous souhaitez recevoir chaque jour mon tour d’horizon des nouvelles dignes de mention (ou pas) chaque jour, c’est ici:

asteureUne curation quotidienne de nouvelles intéressantes que vous avez peut-être manquées parce que les réseaux sociaux sont rendus fous.Par Olivier Niquet

Plusieurs se questionnent sur l’enshittification de l’internet causée par l’intelligence artificielle. Plusieurs se questionnent aussi sur la traduction possible de enshittification. J’ai vu « merdification » et « pourrissement ». Edward Zitron (encore découvert grâce à Sentiers) évoque le concept de « l’IA Habsbourg », c’est à dire qu’un système d’intelligence entraîné à partir d’autres systèmes d’intelligence pousse à la consanguinité, comme la famille Habsbourg à l’époque:

Charles II n’a pas réussi à parler avant l’âge de quatre ans, n’a pu marcher avant huit ans et, pendant les dernières années de sa vie, arrivait à peine à tenir debout et était victime d’hallucinations et de convulsions.

On voit maintenant des IA qui discutent entre elles sur les réseaux sociaux et des gens qui s’en servent pour générer des commentaires juste pour générer des commentaires.

Le problème, c’est que nous sommes accroc à cet internet de merde. Je ne crois pas que la solution réside dans cette idée d’une ancienne ministre française de rationner l’internet à 3 gigaoctets par semaine. Good luck with zat comme ils disent en France.

Au sujet de l’IA, je vous recommande cet épisode du balado d’Étienne Klein où il est question des limites de l’intelligence artificielle avec un invité très éloquent.

Plogues

Nic Payne

Avertissement: mon résumé de cette histoire sera peut-être trop long, trop centré sur moi-même et pas si intéressant, mais je trouve ça quand même révélateur du discours public. Au pire, sautez directement à la section des citations drolatiques.

Petite surprise dimanche alors que je tombe sur ce tweet de Nic Payne, ancien candidat d’Option Nationale et chroniqueur à QUB Radio.

Surprise donc, parce que si j’ai bel et bien cité M. Payne dans ma chronique de vendredi sur le jugement de la Cour suprême qui a fait controverse, je ne l’ai jamais associé à l’extrême droite. En fait, je n’ai jamais associé personne à l’extrême droite. Moi qui me demandais justement qui donc associait à l’extrême droite ceux qui disent « on ne peut plus dire telle chose sans se faire associer à l’extrême droite ». Dans ce cas-ci, il semble que ce soit une chimère. Il est payant de jouer à la victime dans certains cercles. C’est pourquoi être victime d’une critique amusante mais polie (dites-le moi si je suis biaisé) devient être victime d’association à l’extrême droite dans une critique militante.

Je n’utilise maintenant X que pour publier des liens vers mes infolettres ou mes vidéos de La journée, mais dans ce cas-ci, je me suis senti dans l’obligation de répondre. Il faut laisser des traces quand des gens diffusent des informations erronées à notre sujet. J’ai donc souligné à M. Payne que je n’avais jamais dit ça. Il m’a répondu: « Quant à l’extrême droite, sans guillemets, on aura compris qu’il ne s’agissait pas d’une citation que je vous attribuais. » Plusieurs personnes sous sa publication, comme sous celle sur Facebook, ont pourtant cru que je l’avais effectivement identifié comme un tenant de l’extrême droite. « On aura compris », mais pas vraiment.

Pourquoi donc parler de l’extrême droite? Parce que ça « renvoie à cette habitude qu’ont les tenants d’une certaine idéologie de renvoyer à droite et à l’extrême droite ceux qui ne sont pas parfaitement d’accord avec eux », me dit-il. Donc, même si moi je ne l’ai pas fait, il y a du monde qui fait ça (du monde qu’il reste à identifier) et je serais une sorte de coupable par association.

Quant aux accusations de le citer hors contexte, il m’a expliqué que « vous m’avez logé à l’enseigne de “on ne pourra plus utiliser le mot femme”, alors que tel n’était absolument pas mon propos. » Je n’ai pas dit ça. C’est souvent la défense de ceux que je cite: c’est hors contexte. Pourtant, ce n’est pas hors contexte si j’explique le contexte. Je ne fais pas dire des choses qui ne sont pas dites. Dans le cas précis de sa chronique avec Sophie Durocher, le contexte est encore moins à son avantage.

Ça commence en disant: « on devait parler d’électroménagers, mais on va parler de ce jugement », ce qui me donner un peu l’impression qu’ils n’étaient pas trop trop préparés. Il dit clairement « on décide que les hommes et les femmes n’existent plus » et plus loin, « qu’il y a des tonnes de jeunes femmes qui veulent devenir des gars parce qu’elles ont l’impression de vivre dans un monde qui les opprime à un point tel qu’il n’y a pas d’autres choix, et ça (le jugement), ça participe un peu de ça, c’est-à-dire qu’on a trouvé une nouvelle façon de faire disparaitre les femmes ». Je n’ai pas dit qu’il disait qu’on ne pourra plus utiliser le mot femme, mais si je l’avais dit, je n’aurais pas beaucoup déformé sa pensée, il me semble.

J’ai présenté dans ma chronique deux points de vue: celui des chroniqueurs comme lui et de l’Assemblée nationale qui pourfendaient le jugement, et celui de journalistes et de juristes qui disaient que les premiers ont mal interprété le jugement. Selon Payne, j’ai appuyé les seconds, donc je suis un militant. Les seconds étant des activistes wokes comme sa collègue Emmanuelle Latraverse et la journaliste « extrême centriste » Hélène Buzetti (depuis, d’autres se sont prononcés comme le fameux woke Jean-Claude Hébert). Le matin, des juristes avaient aussi dit qu’ils étaient éberlués par la motion de l’Assemblée nationale (deux partis ont reculé depuis).

Selon lui, j’aurais dû citer aussi les juristes qui trouvent déplorable ce jugement. Il m’en propose deux: Patrick Taillon (qui s’est prononcé après ma chronique) et un certain Guillaume Rousseau « publiera là-dessus sous peu et il ira dans le même sens » (finalement, il a écrit deux paragraphes mardi). Bref, on m’accuse ici de ne pas avoir cité des gens qui n’avaient encore rien dit. Réalisant que je ne pouvais pas voyager dans le temps, il précise qu’on « pouvait déjà, le jour où la nouvelle a été publiée, faire soi-même la part des choses ». J’aurais donc dû, même si je ne connais rien à ce sujet, faire fi des experts et comprendre que c’était scandaleux.

Bien sûr que je ne suis pas objectif. Il y a des aspects de ces questions de théorie du genre sur lesquels j’ai une opinion, d’autres pas. Mais j’aborde ces sujets (dans une émission d’humour, je le rappelle) sous l’angle de leur couverture médiatique et politique. Ce qui me fascine le plus dans tout ça, c’est que des gens comme Nic Payne qui parlent constamment de ces questions sur des plateformes qui parlent constamment de ces questions me disent que je suis un militant.

S’il y avait des politiciens ou des personnalités médiatiques qui disaient tous les jours qu’il faut abolir le mot femme, ou qui décidaient de n’employer que « personne avec un vagin », c’est certain que je m’en moquerais. Comme personne avec de l’influence ne le fait, les pourfendeurs du péril woke doivent se contenter de s’attaquer à ceux qui, comme moi, disent que les réactions sont peut-être exagérées. Comme je critique ces exagérations, je serais du camp de ceux qui veulent qu’on invisibilise les femmes.

En marge de tout ça, je suis troublé par les commentaires agressifs que j’ai pu lire sous ses publications. On ne répond pas par des arguments, mais par des insultes. Si ce que je publiais suscitait une telle hargne, je me poserais des questions sur mes façons de faire. Lorsque j’en fais mention à M. Payne, il me répond qu’il ne faut pas se fier aux commentaires et que beaucoup de gens ont mis un émoji de petit bonhomme qui rit à sa publication. Voilà qui me rassure.

J’ai quand même reçu ce message d’une gentille dame en privé:

Malgré ce message, je n’oserais pas me plaindre que « on ne peut plus rien dire sans se faire traiter de dictateur tueur. »

Bulles algorithmiques

Je suis allé commenter sous les deux publications de M. Payne parce que sans ça, ces personnes en colère n’auraient pas eu accès à la contrepartie. M. Payne n’a pas cru bon relayer ma chronique pour que les gens se fassent une idée. Très commode.

Sur le site Slate, la journaliste Dahlia Lithwick évoque les fameuses chambres d’écho, les bulles algorithmiques, qui font que nous ne sommes pas exposés à toutes les opinions et que nous vivons dans des mondes parallèles. Je pense que c’est un peu surestimé, mais quand même, j’ai trouvé intéressante la nouvelle tendance qu’elle a remarquée:

« Une toute nouvelle critique des médias circule ces derniers temps, et elle ressemble à peu près à ceci : « Eille, pourquoi personne n’écrit sur Y? » “Y”, dans ce cas précis, représentant un sujet sur lequel un grand nombre de personnes se sont déjà exprimées, dans de nombreux endroits différents, mais auquel la personne qui critique n’a pas été personnellement exposée. Elle en conclut donc, à tort, que ce sujet n’est pas traité. […] Plus encore, le reproche ne porte pas tant sur « les médias » et leur incapacité à couvrir une histoire qui est pourtant cruciale pour l’avenir de la démocratie. Au contraire, c’est une manière de blâmer le journalisme dans son ensemble pour le fait que nous vivons désormais dans des bulles si minuscules qu’elles ne peuvent nous livrer que le même contenu, jour après jour. »

C’est une coche au-dessus du « whataboutism ». Les gens attendent que la nouvelle vienne à eux, et si elle n’est pas apparue dans leur univers, c’est que les médias n’en ont pas parlé.

Langue et identité

On a fait grand cas du texte de Jean-François Lisée sur les Kebs et un journaliste d’URBANIA a tenté une expérience amusante en ne parlant qu’anglais pendant une semaine:

Apprendre une langue, c’est pas facile. La protéger n’est pas facile non plus, mais une chose est certaine, c’est que changer de _mother tongue _durant 5 jours, c’était juste assez pour me faire réaliser à quel point la façon dont on communique forge notre identité.

Tellement.

Stations spatiales

Je l’ai déjà dit, j’aime beaucoup la science-fiction. Tout ce qui se passe dans l’espace aussi. C’est drôle parce que depuis deux semaines, j’ai visionné quatre films/séries qui se passent en partie en apesanteur. Le film ISS, le film Spaceman, la série Constellation sur Apple TV et la série Das Signal sur Netflix.

Des quatre, Das Signal est ma proposition préférée. Constellation n’est pas trop pire et les deux films sont assez poches. C’était la section culturelle de cette infolettre.

Musique

The Last Dinner. J’haïs pas ça.

Citations

🔈 Sylvain Bouchard, qui compare Guillaume Lemay-Thivierge aux manifestants anti-juifs

Admettons Phil, qu’il faut mettre dehors Guillaume Lemay-Thivierge, parce qu’il a fait cette vidéo-là, où on voit le mot en N et on y fait allusion. Peux-tu m’expliquer pourquoi des milliers de Montréalais peuvent actuellement se promener sur le trottoir et crier «mort aux juifs» ? […] Sans qu’il n’y ait aucune intervention policière.

🔈 Richard Martineau, à propos de l’esclavage

Je ne veux pas absolument innocenter Guillaume Lemay-Thivierge, absolument pas. Je veux rien que dire une affaire, tu sais quand tu dis « travailler comme un noir », ça veut dire qu’il travaillait très fort les noirs à l’époque, c’était des esclaves, ils travaillaient fort puis ils étaient mal payés. Tu sais, c’est reconnaître: J’ai travaillé comme ces gens-là qui travaillaient comme des christie de fous.

🔈 Jacinthe-Eve Arel, qui explique que la taxe carbone n’a pas été mal vendue

On parle de mal vendu. Si je vous demande votre sandwich au roast-beef, puis je garde le roast-beef, puis je vous redonne les tranches de pain blanc vides, puis je vous dis, je vais essayer de vous vendre cette transaction-là. Ça va être difficile.

🔈 Éric Duhaime, qui déplore la vulnérabilité d’Éric Duhaime

Il ne faut pas montrer de la vulnérabilité quand on est une personnalité publique. Évidemment, nous sommes des êtres humains. C’est sûr que ça nous affecte. Cela étant dit, la dernière chose qu’il faut faire, je crois, c’est de démontrer aux gens qui nous attaquent que ça a un impact sur nous. […] Je pense qu’il faut démontrer qu’on est fort, qu’il faut continuer, qu’il ne faut pas les écouter, qu’il ne faut pas prêter flanc à ces gens-là. Il faut faire abstraction.

🔈 Justin Trudeau, protectateur

Nous allons continuer d’investir dans nos forces armées parce que le monde est rendu plus incertain. Les Canadiens doivent être protectés.

🔈 Justin Trudeau, qui songe à quitter tous les jours

– Vous avez jamais songé à quitter, dans les dernières semaines, derniers mois, vous n’avez pas dit peut-être que je pourrais passer la main?
– Moi, je songe à quitter à tous les jours, c’est une job de fou que je suis en train de faire, les sacrifices au niveau personnel, si je ne doutais pas quasiment à tous les jours de ce que je fais, je ne serais pas humain.

🔈 Pierre Paul-Hus, après que le Bloc ait empêché à leurs témoins de participer à une réunion sur le transfert dans une prison à sécurité moyenne de Lucca Rocco Magnotta

– Nos amis du Bloc, on les regardait hier tout le monde, on se posait vraiment des questions, le Bloc a pris une décision.
– Donc le Bloc est allié avec Magnotta?
– Ben on pourrait quasiment dire ça comme ça. C’est de protéger Magnotta.

🔈 Richard Martineau, pas au courant des toilettes pour personnes handicapées

On prend une anomalie en disant ça, l’anomalie, va devenir la règle. Alors c’est comme si je disais, quand vous dessinez un être humain, maintenant les enfants, dessinez seulement quelqu’un avec des bras. Mettez pas de jambes. Pourquoi on met pas de jambes? C’est parce qu’il y a des gens qui naissent pas de jambes. Tsé, par exemple, sur les toilettes c’est homme, femme, pis ils ont des jambes. Hé, c’est pas correct ça pour des gens qui ont pas de jambes!

🔈 Mathieu Bock-Côté, à propos du jugement qui évoque les personnes avec un vagin

C’est quand même de la mongolitude puissance 1000, mongolitude terme que je n’ai pas le droit d’utiliser, c’est vrai. C’est pas bien, c’est pas bien. Parce qu’est-ce qu’on voit à travers ça, c’est encore une fois la tentation orwellienne de changer le sens des mots pour bloquer en fait l’accès au réel.

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